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Le vin corse, une histoire ancienne et pleine de rebondissements

C’est au VIe siècle av. J.-C., quand les Phocéens débarquent sur l’île, que la culture de la vigne commence. Le climat doux et l’ensoleillement généreux de ce territoire permettent aux vignes de s’épanouir sans peine et c’est ainsi que naissent les premiers vins corses, dont la production est encouragée ensuite par les Romains. Virgile lui-même aurait vanté « la couleur rubis et le goût si agréable du vin de Balagne ». À la chute de l’Empire romain, la viticulture s’interrompt, mais les vignes survivent jusqu’au retour des vignerons au XIe siècle sous domination pisane, une culture qui continue de s’épanouir par la suite sous domination génoise puis française. Au XIXe siècle, le vin corse s’exporte à l’international et commence à jouir d’une certaine réputation dans les capitales, avant que les cultures ne soient ravagées par deux épidémies tragiques. Les crises économiques et les guerres du XXe siècle déstabilisent encore davantage la production, qui est presque nulle au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Suite à l’indépendance de l’Algérie et à l’arrivée de nombreux rapatriés en quête de travail, la production de vin reprend, mais cette fois-ci de manière industrialisée. Apparaissent alors d’immenses domaines dont les méthodes contrastent avec la tradition du vignoble corse, autant en termes de quantité que de qualité. Les prix sont imbattables et la concurrence est rude pour les petits producteurs, qui font faillite. Cerise sur le gâteau, une affaire éclate en 1974 : des hectolitres de « faux vin » corse, fabriqué sans raisin, sont découverts par le service de répression des fraudes. Le scandale débouche sur un boycott des vins corses qui malheureusement met petits agriculteurs et producteurs intensifs dans le même lot. Coup de grâce final ? Non, depuis quelques décennies de dur labeur et la reprise en main par de nouvelles générations de vignerons et vigneronnes attentifs à la qualité autant qu’au respect de leur terre, la production douce est relancée et les vins corses ont à nouveau la notoriété qu’ils méritent. Plus besoin de chercher longtemps aujourd’hui pour trouver des pépites aux robes sauvages et surprenantes. Soutenir les petits producteurs en appréciant leur vin, c’est donc ajouter sa pierre à l’édifice du combat pour reconstruire et faire vivre ce vignoble millénaire !

Huit vignobles d’appellation d’origine contrôlée pour une variété de saveurs

Les vins corses sont aujourd’hui classifiés en huit AOC, un bon chiffre compte tenu de la taille de l’île. Nous vous en donnerons ici une brève présentation qui, si vous n’y avez pas encore goûté, vous permettra de vous faire une idée de leur caractère respectif.

L’AOC Ajaccio rassemble une douzaine d’exploitations très morcelées s’étendant sur 239 hectares, dont quelques domaines parmi les plus vieux et les plus renommés de l’île. C’est ici que naquit le sciaccarellu, cépage de haute qualité et d’un caractère affirmé  ! C’est un vignoble typique de la tradition corse. Le sciaccarellu confère aux vins ces arômes singuliers d’amande, de cassis et d’épices. Les rouges harmonieux et pleins sont d’une grande finesse et d’une exceptionnelle capacité de vieillissement. Les rosés ont de l’étoffe et une distinction remarquable, quant aux blancs, ils expriment à merveille l’arôme floral et le caractère du vermentinu.

Les vins de Balagne sont rassemblés sous l’appellation AOC Corse Calvi (266 hectares). La Balagne est une région parmi les plus douces de l’île avec des terroirs bien ordonnés et de superbes villages perchés entre la mer et les sommets. Ils offrent aujourd’hui de belles réussites avec des rouges charnus et bouquetés, des rosés frais et ensoleillés et des blancs d’une grande finesse.

Les vignobles de l’AOC muscat du Cap Corse (103 hectares) et coteaux du Cap Corse (36,5 ha) sont suspendus en minces terrasses, vertigineuses, paraissant inaccessibles au commun des mortels… mais pas au vigneron corse. Sur ce doigt fièrement planté dans la Méditerranée, le muscat est un vin rare et délicat. Tout au nord de l’île, les coteaux du Cap Corse donnent des rouges de longue garde et des blancs élégants.

Le vignoble de l’AOC Corse Figari (128,5 hectares) est le plus méridional de France et aussi le plus ancien, puisque les premières vignes y sont apparues dès le VIe siècle avant notre ère. Sur un plateau granitique très ancien, venté et particulièrement sec, s’expriment des cépages corses traditionnels, dont le carcajolu neru. Ils donnent des vins rouges, rosés et blancs d’une grande finesse, bien charpentés.

C’est dans la petite région vivante et riche du Golfe de Saint-Florent (Haute-Corse), bien abritée des vents et remarquablement exposée à l’ouest, que sont produits les vins de Corse les plus connus, sous l’AOC Patrimonio (409 hectares). C’est la plus ancienne appellation de l’île. Le vignoble est morcelé en petites propriétés où le savoir-faire des hommes a permis l’expression de vins nobles. Ici règne le niellucciu, donnant des rouges puissants et chaleureux, des rosés de soleil et de fruits. S’exprime aussi le vermentinu avec des blancs secs bouquetés, d’une richesse aromatique remarquable.

Des murailles médiévales de porphyre rose, une rade magnifique : Portus Syracusanus, fondé en 383 av. J.-C., aujourd’hui Porto-Vecchio, est au cœur d’une région vivante et active, où l’on retrouve le vignoble d’appellation AOC corse Porto-Vecchio (89 hectares). Petites criques sur la côte, pins parasols, chênes-lièges et surtout quelques beaux vignobles perchés sur des coteaux impressionnants. Ici règne l’alliance du niellucciu et du sciaccarellu qui donnent, avec le grenache, des rouges élégants et ronds, des rosés fins et aromatiques. Quant aux blancs de vermentinu, ils sont secs et très fruités et accompagnent à merveille les poissons et fruits de mer.

La capitale du Sud-Ouest est une cité fière et magnifique qui veille, de son haut rocher, sur les plus vieux cépages locaux rassemblés sous l’AOC Corse Sartène (143 hectares). Ils donnent des vins étoffés, à la personnalité et au velouté remarquables. Les rouges sont bien charpentés, les rosés ont du corps et les blancs sont amples et bouquetés.

Enfin, sur les coteaux de la côte orientale et dans la vallée intérieure du Golo, se trouve le berceau du vignoble traditionnel corse, de l’AOC corse (143,9 hectares), tout simplement. Adossé à des arêtes rocheuses qui culminent à 1 200 m, il occupe les premières pentes. On y trouve une gamme peu commune de riches terroirs offrant des vins de très haute qualité. Le niellucciu y donne des rouges souples et équilibrés, les rosés à la robe souvent claire sont racés et nerveux, quant aux blancs de vermentinu, ils sont fruités et d’une grande finesse de goût. On compte dans l’appellation un grand nombre de caves coopératives.

Sur la route des vins corses : un périple aussi instructif que grisant

C’est d’abord pour leurs vins qu’on visite les vignobles corses. Néanmoins, l’intérêt d’un tel périple n’est pas seulement gustatif : il repose aussi sur les paysages traversés, leur histoire, la passion et l’hospitalité de ceux qui les font vivre. On trouve des vignes sur l’ensemble du pourtour corse, elles occupent ainsi une grande variété de paysages. Chacun de ses environnements donne au raisin qu’il abrite sa saveur propre, autant que le territoire lui-même est façonné par ce raisin. Ainsi, quand à Porto-Vecchio les vignes se blottissent entre la plage et la pinède, ce sont sur des terrasses escarpées dominant les villages côtiers que poussent celles du Cap Corse. Entre odeurs du maquis, embruns marins et vues imprenables, visiter les vignobles c’est aussi découvrir un territoire autrement, au contact de son terroir et d’artisans passionnés. 

Si parcourir la route des vins corses est une aventure un peu rude pour être entreprise à pied, le périple se prête tout à fait à un road-trip chic. Nombreux sont les domaines qui accueillent les visiteurs, non seulement pour des visites et des dégustations, mais aussi pour des séjours en gîte ou chambre d’hôtes. Le cadre est souvent idyllique et l’accueil, parfois haut de gamme, est toujours discret et sans chichis. Pour les voyageurs qui souhaitent une expérience authentique à l’abri des hordes de touristes sans renoncer à un certain confort, voilà une équation idéale ! Pour ne citer que quelques exemples, on retiendra le domaine de Pero Longo entre Propriano et Bonifacio, avec sa maison des vignes aux airs d’hacienda, ou le domaine Saint-Armettu en Sartène, avec sa vue sur la mer et ses oliviers.

Réinventer le terroir corse avec la biodynamie

La biodynamie, c’est bien plus que respecter le cahier des charges bio et bannir les produits chimiques : c’est travailler avec le calendrier lunaire et les rythmes solaires, se réapproprier les savoir-faire des anciens en chouchoutant la vigne à base de concoctions réparatrices naturelles, de matières organiques ou minérales, ou encore utiliser le cheval pour travailler la terre. C’est une philosophie qui révolutionne la culture viticole en plaçant l’équilibre des plantes et de leur environnement au cœur du processus de fabrication du vin. Et cela se ressent gustativement, les vins biodynamiques ayant le vent en poupe grâce à leurs saveurs authentiques. Mais l’utilisation de cépages autochtones est également intéressant d’un point de vue pratique, car elle permet d’améliorer la résilience de sa production, ces variétés anciennes étant plus adaptées au climat local et à ses aléas, qui, comme on le sait, peuvent être assez rudes – et d’autant plus avec le changement climatique. C’est ainsi que des vignerons de plus en plus nombreux ont adopté ces méthodes en Corse. À Ajaccio,  on trouvera le domaine Comte Abatucci et le domaine U stiliccionu, en Sartène le domaine Pero longo, vers Patrimonio le domaine Giudicelli et enfin le Clos Canarelli à Figari. Nombre d’entre eux proposent des visites, d’autant plus passionnantes que ces vignerons sont à la fois les gardiens et les modernisateurs d’un héritage vieux de plus de 2 000 ans.