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Escalier du roi Argaon © Samuel Borges Photography - Shutterstock.com.jpg

La Corse à l’âge du Bronze

La plus ancienne présence humaine en Corse remonterait à 9000 avant J.-C. Cependant, c’est du néolithique que l’île de beauté conserve le plus de traces d’occupation, et c’est aussi à cette période qu’elle connut ses premiers gestes architecturaux : dolmens et menhirs ont couvert son territoire. Un des sites préhistoriques les plus célèbres de l’île est celui de Filitosa, qui fut occupé jusqu’à l’Antiquité ! Il se trouve dans la vallée du Taravo, non loin du village de Sollacaro en Corse du Sud, et est classé monument historique depuis 1967. Sa richesse est incroyable : outre des menhirs gravés, il compte aussi des monuments de la civilisation torréenne. L’architecture de cette période est symbolisée par son élément principal : le torre (tour), version corse et plus petite du nuraghe que l’on retrouve en Sardaigne.

Le site de Cucuruzzu situé à Levie en Corse du Sud, est un des principaux vestiges torréens encore visibles. Il s’agit d’un véritable village-forteresse, séparé en “diverticules” : des loges aménagées qui servaient aux diverses occupations quotidiennes (cuisine, poterie, etc). Ces aménagements sont réalisés à partir de plusieurs blocs de roches granitiques sur lesquels les bâtisseurs ont empilé des pierres, utilisant les formations naturelles comme fondations et structures. La forteresse s’organise autour d’un espace central qui dessert les différents diverticules, disposés comme autour d’une petite place à l’air libre.

Surplombant Ceccia, un village du XIXe siècle en amont de Porto Vecchio, se trouve la Torre de Ceccia, dressée sur un piton rocheux dominant la plaine. Le site fut réutilisé au Moyen Âge ainsi que pendant la période génoise, toujours à des fins défensives.

Ces aménagements fortifiés visaient à se protéger des invasions, qui furent nombreuses, dont celles des Phocéens, fondateurs d’Alalia actuelle Aléria. Mais c’est de la période étrusque, dans les siècles qui suivirent, que le site conserve encore quelques traces, comme un port de commerce dont les ruines furent exhumées à une centaine de mètres du rivage actuel. Le site conserve de l’époque pré-romaine un rempart de la période grecque ainsi qu’une nécropole.

Corse romaine et romane

C’est l’arrivée des Romains, au IIIe siècle avant notre ère, qui marque la fin de ces incursions successives. Alalia devient Aleria, capitale de la nouvelle province corse. Les ruines d’un forum, des thermes, et tout un système de voirie témoignent de la présence de l’ancienne cité romaine.

Si Aleria était une colonie militaire, Mariana était quant à elle une colonie civile. Ses vestiges laissent entrevoir un plan urbain classique, le long du cardo (nord-sud) et du decumanus (est-ouest). Ce dernier prenait la forme d’une voie à portiques, qui abritaient les marchands.

Une voie romaine reliait alors Mariana à Palla (probablement l’actuelle Bonifacio), le long de la côte orientale. Le réseau routier, existant depuis la préhistoire, s’est rationalisé avec les Romains. Malheureusement, il en reste peu de traces ; quelques voies portent encore le nom de strada romana à Prunelli-di-Fomorbo mais, selon les historiens, il devait s’agir de voies secondaires.

Avec l’empire romain, c’est aussi le christianisme qui fait son apparition sur l’île. Les premiers édifices religieux sont bâtis sur des sites préhistoriques ou romains (Santa Maria de Rescamone, Pianottolli-Ficaria). La première église érigée en Corse se trouve à Aleria : San Marcellu. Maintes fois détruite, elle fut chaque fois reconstruite avec les pierres de la ville antique. L’édifice actuel date du XVe siècle.

Au crépuscule de l’Empire romain, sous l’influence byzantine, des basiliques paléo-chrétiennes sont encore bâties, souvent dotées de baptistère, comme à Mariana. Seules des ruines subsistent aujourd’hui, mais leurs mosaïques témoignent de la présence byzantine.

Avec la chute de l’Empire romain d’occident, c’est la fin de la pax romana. L’île connaît à nouveau des invasions successives jusqu’au XIe siècle. Les édifices chrétiens vont survivre à cette longue période de troubles, au gré des destructions et reconstructions. Les premières chapelles, plutôt petites, ne sont pas décorées et sont érigées de façon sommaire, en pierres éclatées : San Cervone à Lavatoggio, Maria Assunta à Pie-d’Orezza. C’est au IXe siècle que les décorations apparaissent, avec des arcs et arcatures, comme à San Giovanni Battista de Corte, dont les ruines sont visibles aujourd’hui. Seule l’abside se dresse encore, devant les vestiges de piliers permettant d’en deviner le plan à trois nefs.

Entre Pise et Gène

Après la victoire décisive sur les Maures par les chrétiens, c’est au tour de Pise et Gêne de se disputer l’île. Pour asseoir sa domination, Pise se lance dans de nombreux travaux d’aménagements, notamment des lieux de cultes. Le style pisan se manifeste entre les XIIe et XIIIe siècles. Dans les églises et chapelles, les décors sont de plus en plus agrémentés, les blocs qui composent les murs sont désormais rigoureusement alignés. Des cathédrales sont inaugurées, comme à Nebbio. Les églises sont alors dotées d’imposants baptistères.

Au XIIIe siècle, c’est au tour des Génois de dominer l’île. Ils bâtirent de nombreuses tours qui servaient à signaler les navires ennemis, érigées au cours du XVIe siècle et que l’on retrouvent tout autour de l'Île. On retiendra de l’époque génoise la Tour de Diana qui surplombe l’étang éponyme, ainsi que le Fort de Matra à Aleria. C’est également durant cette période que fut érigé le “Bastia”, le palais fortifié du gouverneur génois, qui donna plus tard son nom à la ville. L’imposant palais actuel fut achevé au XVIe siècle. Il abritait des chapelles, une prison, une caserne ainsi que divers bâtiments administratifs en plus d’être la résidence du gouverneur de l’île. Perché à flanc de montagne, l’édifice ocre domine la ville.

Au XVe siècle, sous l’influence des franciscains, les chapelles se couvrent de fresques. C’est le cas de Santa Catarina à Valle di Campoloro et San Toma à Pastureccia. La Corse n’a pas connu le gothique, qui se développait alors partout à travers l’Europe. Elle passe du roman tardif, qui s’éteint avec la fin du style pisan, au baroque, venu lui aussi d’Italie. Le roman a donc connu une longévité rare : près de cinq siècles !

Des chapelles sont rénovées pour s’adapter à la nouvelle mode. Les anciennes charpentes sont remplacées par des voûtes, des autels masquent les absides désuètes, des fenêtres sont agrandies ou percées, les murs renforcés. Un des plus beaux exemples du style baroque est l’église Saint-Jean Baptiste, la plus vieille église paroissiale de l’île et un des monuments les plus connus de Bastia.

La Corse traditionnelle

À l’image de la richesse architecturale des édifices religieux, l’architecture vernaculaire corse se déploie en différents styles. On peut parler ici d’architecture matérialiste : les pierres présentes sur place servent à la construction, on trouve comme un écho du paysage environnant dans les bâtisses. L’habitat, des falaises ou plaines côtières aux montagnes, s’adapte aux différents territoires, offrant ainsi une variété des formes architecturales : de la ville méditerranéenne au village de montagne rappelant des régions alpines.

Le village d’Appietto situé en pays ajaccien prend ainsi les teintes rose-orangé du granit de la région, tandis que le schiste donne des couleurs plus grises et bleutées au nord. Au sud, on trouve plus facilement du calcaire :  la blanche Bonifacio, perchée sur sa falaise, en est un bon exemple. Là, taillé à même la roche calcaire, l’escalier du roi d’Aragon aurait, selon la légende, été ouvragé en une seule nuit. Appietto et dans les environs, on trouve de très beaux exemples du bâti rural corse, et notamment de magnifiques linteaux gravés. À Valle di Mezzana, aussi dans le pays ajaccien, des maisons ont été construites à partir des pierres prélevées dans la rivière voisine, arrondies par l’érosion. Dans le Nord, la Lauze couvre encore les toits. Certains luttent pour perpétuer le savoir-faire des couvreurs, qui consiste en la superposition de pierres sur la charpente sans ajout de matériaux étanches, car la pierre schisteuse suffit. Favoriser ce savoir-faire local permettrait d’éviter l’équivalent importé : plus facile à la pose, mais qui détonne dans les paysages de schistes de la Haute-Corse.

Près des côtes, on retrouve une architecture plus urbaine et parfois bourgeoise, méditerranéenne, à l’image des Palazzi. Ils sont aujourd’hui fréquemment transformés en hôtel, à l’image du Palazzu Pigna à Pigna. Leurs toits sont couverts de tuiles, leurs murs sont blancs ou ocre.

Une architecture contemporaine en phase avec le territoire

L’architecture contemporaine connaît elle aussi cet engouement pour la valorisation d’une architecture estampillée Corsica. Récemment doté d’un prix régional - le Prac (2019) -, les architectes corses sont mis en avant par le territoire. Le prix est attribué par catégories de taille, du XS ou XL, non sans un clin d’œil au « starchitecte » Rem Koolhaas. On retiendra l’Observatoire du cerf corse, du studio Orma Architettura, qui propose trois modules d’observation en bois d’où l’on peut guetter l’animal en voie de disparition, dans son milieu naturel et sans le déranger. Ces structures ouvertes en bois vernis contrastent par leur géométrie et leur simplicité dans le paysage montagneux de la région, mais s’y intègrent avec élégance. À travers les fenêtres découpées parmi les barreaux composant la structure, des cadres s’ouvrent sur le paysage environnant.

Par ailleurs, on remarque que nombreux sont les projets d’architectes contemporains qui visent à la restauration d’anciennes bâtisses en y incorporant des matériaux modernes, verre et acier notamment. D’autres s’inspirent encore, pour la construction de villas, de l’architecture vernaculaire et utilisent les matériaux locaux (schiste et granit). L’université de Corse à Corte est en partie bâtie en granit, plus décoratif que structurel. L’ensemble de bâtiments, parallélépipèdes blancs étagés à flanc de montagne, contraste dans le paysage environnant.